Usant de la procédure d’avis prévue par l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire, qui permet aux juridictions du fond de consulter la Cour de cassation sur une question de droit, le conseil de prud’hommes de Cayenne a contribué de manière décisive à la définition du nouveau régime de contestation des avis d’inaptitude du médecin du travail issu de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. L’avis de la chambre sociale du 17 mars 2021 (pourvoi n°21-70.002) offre de précieux enseignements sur l’étendue des pouvoirs du juge prud’homal dans l’appréciation de la déclaration d’inaptitude établie par le médecin du travail, l’occasion d’harmoniser la jurisprudence sur ce point et ainsi renforcer les garanties offertes par la nouvelle procédure d’inaptitude.
En l’espèce, le conseil de prud’hommes était saisi par un employeur qui souhaitait contester l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail concernant un de ses salariés. Au soutien de sa requête, l’employeur reprochait au médecin du travail l’absence d’échange préalable à propos de la situation du salarié en question, en termes de possibilités de reclassement, de mesures d’aménagement, d’adaptation ou de mutation de poste ou de la nécessité de proposer un changement de poste.
Depuis le 1er janvier 2017, Il faut rappeler que la procédure de contestation de l’avis du médecin du travail relève de la compétence du conseil de prud’hommes, en lieu et place des pouvoirs dévolus à l’inspection du travail jusqu’alors. En vertu du nouvel article L. 4624-7 du code du travail, l’employeur ou le salarié peuvent désormais porter à l’appréciation du conseil de prud’hommes « les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale ».
Lorsque la contestation est fondée, le conseil de prud’hommes peut substituer sa propre décision à celle du médecin du travail après avoir recueilli, le cas échéant, l’opinion du médecin inspecteur du travail. Le recours au médecin inspecteur du travail n’est donc pas obligatoire.
Toutefois, la rédaction de ce nouvel article laissait subsister quelques interrogations quant à l’objet de l’action en contestation de l’avis rendu par le médecin du travail, et partant, de l’étendue des prérogatives du conseil de prud’hommes en la matière. Plus précisément, il revenait à la chambre sociale de déterminer, d’une part, si l’action en contestation de l’avis du médecin du travail peut être fondée sur l’irrespect de la procédure d’inaptitude édictée par l’article R. 4624-42 du code du travail, notamment lorsque le médecin du travail s’abstient, préalablement à sa déclaration d’inaptitude, de recueillir les observations de l’employeur, d’autre part, de préciser si le conseil de prud’hommes peut, sur le fondement de cette irrégularité, rendre l’avis du médecin du travail inopposable à l’employeur et y substituer, le cas échéant, un avis différent.
Répondant à la première question, la Haute juridiction adopte une lecture extensive de l’article L. 4624-7 du code du travail. Elle considère en effet que le champ de l’action en contestation de l’avis rendu par le médecin du travail comprend l’ensemble des éléments pris en compte par ce dernier pour aboutir à un avis d’inaptitude. De cette façon, l’employeur peut, au soutien de son action en contestation de l’avis d’inaptitude, arguer d’une irrégularité commise par le médecin du travail dans la conduite de la procédure prescrite par l’article R. 4624-42 du code du travail.
L’objet de l’action en contestation recouvre donc l’ensemble des étapes de la procédure que doit suivre le médecin du travail avant de rendre ses conclusions. Au-delà du défaut d’échange préalable du médecin du travail avec l’employeur et/ou le salarié, l’action en contestation peut donc être fondée sur l’absence de réalisation d’au moins un examen médical, d’une étude de poste, d’un examen des conditions de travail dans l’établissement ou d’indication de la date à laquelle la fiche d’entreprise a été actualisée.
Alors que cette approche extensive de l’objet de l’action en contestation de l’avis du médecin du travail aurait pu laisser présager une appréciation identique quant aux pouvoirs de coercition de la juridiction prud’homale, la chambre sociale a choisi d’adopter une position nuancée dont la mise en œuvre ne manquera pas de soulever quelques difficultés.
La chambre sociale considère que le juge du fond ne peut prononcer, sur le fondement d’un vice de procédure commis par le médecin du travail dans l’examen de l’aptitude du salarié, l’inopposabilité de cet avis à l’égard du requérant à l’origine de la contestation. Dans une telle situation, la juridiction prud’hommale peut seulement ordonner une mesure d’instruction confiée au médecin-inspecteur du travail. Ce n’est qu’à l’issue de cette mesure d’instruction que le conseil de prud’hommes pourra substituer, indépendamment des conclusions du médecin-inspecteur, sa propre décision d’aptitude ou d’inaptitude à celle du médecin du travail.
Au final, il reviendra aux juges du fond de distinguer la contestation de l’avis du médecin du travail qui porte sur un point relatif à la procédure, constituée par l’ensemble des éléments d’appréciation qui permettent au médecin du travail de déclarer le salarié apte ou inapte, de la situation dans laquelle la contestation a trait strictement à l’avis d’inaptitude, sans remise en cause de la procédure. Cette analyse n’est pas aisée en pratique dans la mesure où dans certaines circonstances la contestation de l’avis d’inaptitude est susceptible de relever tant sur un vice de forme que sur un vice de fond. Nous pouvons notamment évoquer la situation dans laquelle le médecin du travail déclarerait un salarié définitivement inapte en omettant de répondre aux sollicitations de l’employeur sur la compatibilité d’une offre de reclassement ou d’aménagement de poste avec les aptitudes physiques restantes du salarié. La réponse à cette question est pourtant primordiale puisqu’elle permet éventuellement au juge de substituer, de facto, son propre avis à celui du médecin du travail sans devoir en référer au médecin inspecteur du travail.